Loin de l’image du surfeur péroxydé en quête de la vague ultime, ou en danseur émérite (c’est la danse qui l’a fait débuter à Hollywood, et c’est bien Dirty Dancing qui l’a fait exploser), j’ai en ce qui me concerne une image assez différente de Patrick Swayze, autre que celle du bellâtre de Ghost, ou du type en chemise à flanelle à la nuque un peu longue, illusoire icône de l’Amérique triomphante de la fin des années quatre vingt. Non, pour moi, la carrière d’acteur de Patrick Swayze peut se résumer en trois rôles...
Même si sa filmographie est gorgée d'autres pépites assez rares à voir absolument, en dehors des sentiers battus de ses films les plus connus (mais tout aussi intéressants que sont Point Break de Katherine Bigelow, Dirty Dancing, Ghost et Roadhouse, sans doute ses films les plus connus)
Son premier véritable big break, c’est assurément Les Outsiders De FF Coppola, dans lequel il joue le rôle du grand frère un peu protecteur et violent de C Thomas Curtis dans une histoire de famille perturbée par la pauvreté. C’est avec ce film que se formera le Brat Pack, constitué de stars montantes aussi célèbres que Tom Cruise, Emilio Estevez, Rob Lowe, Diane Lane et Matt Dillon (une petite pensée pour Ralph Macchio, qui ne décollera pas du tout lui, hormis avec la série des Karate Kid). Swayze, très jeune, est tout en retenue dans ce délicat mélodrame, et la scène où il pleure en apprenant que son frère n’est pas mort est un monument.
Vient ensuite l’Aube Rouge, un film de John Milius, l’auteur méconnu et mal jugé de Conan le Barbare, sur une trame qui ferait pâlir quiconque a plus de 90 de QI : En 1985, les troupes Soviétiques lancent un assaut surprise sur les Etats-Unis et envahissent rapidement le pays. Quelques lycéens se posent bien malgré eux en résistants et affrontent les Russes dans une guérilla sans merci. Sur un pitch aussi basique et aux relents patriotiques à priori nauséabonds, Milius nous livre un film de guerre ravageur, sur le prix du sacrifice, la rédemption et le poids culturel de l’héroïsme, plus proche d’un Raoul Walsh (Objectif : Burma) que des productions nazillardes de la Canon, une boîte de production spécialiste du révisionnisme historique alors en plein boom (voir pour bien rire Portés Disparus, sous-herzat de Rambo, ou même Delta Force, les deux nourris par un Chuck Norris aux hormones). L’Aube Rouge est servi par un Patrick Swayze en chef de meute pris entre une rage meurtrière écumante envers l’occupant et son devoir de protéger les membres de sa cellule clandestine, sa prestation suffisant à convaincre Milius d'approfondir le propos et d'en faire autre chose qu'un simple blockbuster d'action pour en faire une réflexion sur la guerre et le sens du devoir, n'ayant pas peur d'aller piocher des élements sur des films aussi complexes que l'Armée des Ombres de Jean-Pierre Melville, par exemple.
Rapidement, les succès qui en feront une star planétaire pleuvent, Dirty Dancing en tête, et la chanson du film (dispensable?) qu’il composera et interpretera lui-même. Mais ce succès est de courte durée, c’est avec Roadhouse, un pourtant sympathique film de série B, où il prodigue à la fois coups de saton et fait chavirer les cœurs qu’il sera nominé aux Razzie Awards, les oscars des plus mauvais films. Il enchaîne pourtant avec Point Break, qui sera un carton international, mais c’est là son dernier vrai moment de gloire. Après l’échec financier de La Cité De La Joie de Roland Joffé, pourtant son premier film en dehors du circuit hollywoodien, les films à gros budgets sont terminés pour lui, et même s’il ne s’arrête jamais de tourner, ses cachets et son aura en font un pseudo has-been qui tourne du téléfilm à la chaine et du direct-to-dvd.
C’est Richard Kelly avec son superbe Donnie Darko (2001) qui lui redonne un second souffle, en lui offrant le rôle d’un prédicateur pédophile, dans un rôle complètement à l’opposé de ses personnages de justicier d’actioners ou de mâle pour midinettes. Il y excelle complètement, vieilli, amaigri, dans un rôle certes secondaire mais dont les scènes emportent les critiques par un jeu tout en nuances, à la personnalité double et sordide.
Déjà malade, il avait entamé le tournage de la série The Beast, un autre rôle de composition hallucinatoire d’un flic brutal au passé trouble, à la limite de l’illégalité, quelque part entre le Michael Shicklis de The Shield et le Sipowicz de NYPD Blue, tout en rage contenue, mais son cancer a poussé la production à annuler la série au bout de treize épisodes.
Restera de la filmo de Patrick Swayze une bonne douzaine de très bons films ( Next of Kin, un bon vieux polar hard-boiled à l’ancienne par exemple), une poignée de merveilles, comme ceux cités plus haut, et quelques curiosités, tels Steel Dawn, un nanar post-apocalyptique involontairement comique, Tiger Warsaw, une belle histoire de rédemption malheureusement massacré au montage, ou l'hallucinant Extravagances, où il partage l'affiche avec Wesley Snipes, tous les deux travestis en femmes !
Maintenant, la machine à rêves hollywoodienne est en marche, tous les ingrédients du mythe vont sans doute se mettre en place : dans le showbiz depuis les années 80, Swayze a combattu l’alcoolisme et s’était dernièrement montré très optimiste sur son cancer du pancréas, qui l’aura finalement emporté. La plus grosse perte finalement, est à rapprocher, mais peut-être dans une moindre mesure, de la mort toute récente du réalisateur John Hugues, le spécialiste du teen-Movie eighties (le monumental The Breakfast Club) qui en dit beaucoup plus que ce qu’il paraît, et au fond, avec les films qui ont lancé sa carrière, que ce soit The Outsiders ou Youngblood : le reflet d’une Amerique pas si triomphante, en proie au malaise culturel et social d’une jeunesse qui n’a rien à envier mais qui manque de tout moralement, et c’est en cela que Patrick Swayze, en ce qui me concerne, me manquera le plus.
La filmographie complète de Patrick Swayze sur imdb.com