Alors oui, le choix est subjectif, très subjectif. A vrai dire, à refaire la liste dans dix minutes, il y en aurait probablement dix autres, mais il fallait bien s'arrêter.
Les voici.
Il n'y a aucun ordre particulier.
Ghost Dog (Jim Jarmusch, 2000)
Transposant la vie d'ascète solitaire du Ronin japonais médiéval dans le New-York des séries B et de la Mafia, Jarmusch redonne un second souffle à ce genre éculé par une forme d'épure, faisant de Forrest Whitaker un tueur implacable à la morale basé sur le Hagakuré, le manuel de conduite du samouraï, entre code d'honneur et sacrifice venus d'une époque révolue. La musique de RZA (WuTang Clan) est obsessionnelle, limpide, et vient souligner la tristesse et la fatalité de ce héros d'un autre temps.
Donnie Darko (Richard Kelly, 2001)
Un premier film inclassable entre chronique adolescente, film d'épouvante, critique de la période reaganienne et pur moment de science-fiction avec ses voyages dans le temps, Donnie Darko est devenu avec les années une oeuvre à part entière, aimée par des légions de fans qui le célèbrent pour sa noirceur, sa clairvoyance et sa complexité. C'est une sorte de lente mélopée mélancolique, traversée de fulgurances scénaristiques et servie par un casting crépusculaire, avec Patrick Swayze dans son dernier grand rôle, en prédicateur pédophile. Un ovni, et un auteur en puissance qui n'a (pour l'instant) pas su remettre le couvert avec si beau festin...
Munich (Steven Spielberg, 2005)
Même si Spielberg s'est inspiré, et a même carrement pillé, voir la scène de l'éxécution de la femme assassin à Amsterdam) du téléfilm Sword Of Gideon retraçant quasiment la même histoire,Munich reste un film à suspense d'une richesse incroyable, rendant hommage à Hitchcock par des prouesses techniques et un jeu d'acteur à la hauteur du message plus moral que véritablement politique du film. Dans une époque de guerre en Irak plus que controversée, ce film traite de notre relation au pardon, de la fin de repères simplistes sur les Etats, et surtout de la vengeance, employée ici en décuplant une noirceur intérieure plus grande encore que celle des ennemis. Tels sont les thèmes mis en exergue par un Spielberg au sommet de son art de dramaturge.
Lettres d'Iwo-Jima (Clint Eastwood, 2006)
Dans le second volet sur la bataille d'Iwo-Jima, Eastwood délaisse l'aspect spectaculaire et change de camp pour une introspection sur les valeurs d'un officier Japonais tiraillé entre son devoir et la compassion qu'il éprouve pour ses soldats, jeunes hommes fanatisés, envoyés à l'abattoir. Le film est entrecoupé de courts flashbacks de la vie du Général Kuribayashi, et laisse poindre une violence crue dans ses scènes de bataille. Le propos du film se situe assez près d'un "Johnny s'en va en guerre" pour son message clairvoyant apolitique de paix, mais traite surtout en filigrane d'une société fascisante (le Japon Impérial) et ses codes immémoriaux, en contraste total avec les aspirations d'un Occident toujours plus fort, sans jouer la carte de la délation des méchants japonais, mais en les montrant pétris de contradictions et humains. La photo du film et les scènes dans les tunnels, claustrophobiques à souhait, laisse une impression extraordinaire d'amertume sur la fatalité resignée de ses pantins broyés par une Histoire qu'ils ne comprennent jamais tout à fait...
Le Seigneur des Anneaux, Les Deux Tours (Peter Jackson, 2002)
Même s'il faut voir la trilogie comme une seule et unique oeuvre, il se dégage de l'opus central du Seigneur des Anneaux une sauvagerie épique, une maîtrise narrative, une adéquation entre le récit et ses artisans (acteurs, techniciens, effets spéciaux) quasiment surnaturelle : les Deux Tours est un film de guerre, une histoire d'amour, de mort, de fraternité, de trahison et de courage "de la vieille école", tout cela à la fois et bien plus encore. Sur un schéma narratif tellement clairvoyant et rigoureux dans sa forme qu'il se rapproche radicalement de la vieille tradition des conteurs du Moyen-Age, le tout servi par une intrigue (propre à Tolkien) empli d'une noirceur qui n'est qu'évoquée dans les deux autres opus. Un pur moment de poésie visuelle, à voir si possible dans sa version longue, tellement plus riche en complexité.
Le Fabuleux Destin d'Amelie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, 2001)
Choix difficile, parmi d'autres réussites, de Jacques Audiard notamment, et choix personnel aussi. Oui, le Paris de Jeunet est désuet, bichrome et révisionniste, oui, ses héros sont les habitants d'un quartier de pacotille, mais il ressort de ce film une sorte d'énergie adolescente et enfantine furieuse, qui part dans tous les sens, et nous renvoie des émotions toujours justes, simples, nostalgiques souvent, apprêtées par une narration ciselée à la perfection, jamais au forceps dans l'humour ou le bon mot. On se plaît à aimer Amélie et Nino Quincampoix, et ceux qui trouvent gnan-gnan de les accompagner avec un zeste de compassion ne sont que des monstres sans coeur.
La Chute (Oliver Hirschbiegel, 2004)
Alec Guiness et Anthony Hopkins, parmi d'autres, s'étaient aussi essayés avec brio au travestissement en Hitler dans ses derniers jours, respectivement dans "The Last Ten Days" et "Le Bunker", mais Bruno Ganz y apporte une mouvance animale, quasi-reptilienne, poussant le monstre, que le peuple allemand a choisi à tort pour le guider, toujours plus proche de l'abîme. Bien sûr ce film parle du totalitarisme, de la folie jusqu'au boutiste d'une poignée de fanatiques, mais il ressort surtout de La Chute une vraie leçon politique, presque plus morale qu'idéologique : le pouvoir détruit tout, consume tout, même si la folie du personnage n'est, bien entendu, pas inhérente à sa fonction ici. C'est cette dualité et cette gravité qui font pencher le film vers des abysses de ténèbres dans lesquelles le Mal est ici personnifié en un vieillard quasi-sénile, shakespearien, à la manière d'un Macbeth, tyran odieux et impuissant face à la défaite et à la Mort. Une oeuvre rare et intemporelle.
Lucia et le sexe (Julio Medem, 2001)
D'un ton à la fois grave et léger, doux et âpre dans sa dualité entre une forme de cinéma-social et une approche du rêve completement novatrice, Lucia et le Sexe joue de sa narration éclatée pour mieux nous perdre dans une histoire d'amour perdu, de filiation retrouvée, de découverte du plaisir et de redécouverte de Soi. Ce film se regarde comme on découvre un carnet de voyage, porté sur l'intime, une sorte de labyrinthe du rêve dans lequel on a plaisir à se perdre, berçé de désirs secrets, parfois inavouables, et de retours à la réalité encore plus beaux, admirablement écrits et interprétés, d'une justesse trop rare, parfois dans la démesure d'un cinéma espagnol du réél qui prend le pas sur le rêve justement : voici le plus saisissant dans ce film.
Open Range (Kevin Costner, 2003)
S'il n'a pas l'ampleur dans ses thématiques du Impitoyable d'Eastwood, Open Range est un tour de force pour plusieurs raisons. C'est un western, genre qui n'en finit plus de mourir depuis plus de trente ans, rarement rescussité (et avec maestria, souvent, notamment par Kevin Costner et son Danse Avec Les Loups), incompris par le jeune public, jugé trop en décalage par les valeurs qu'il peut véhiculer, perçu comme regressif et conservateur. Pourtant, Costner utilise une trame ultra-classique, celle du propriétaire terrien véreux contre deux hommes à la conduite irréprochable qui vont tenter de l'ébranler, pour parler des meilleurs thèmes liées au genre : la fin d'une époque, l'adaptation au changement impossible pour une caste en désunion avec leurs contemporains, une morale faussement conservatrice prônant en réalité l'émancipation individualiste et libertaire d'une société consumériste, mais qui, paradoxalement, rêve également de "se ranger". La beauté formelle du film souligne ces points de vue forts, totalement en porte-à-faux du système cinématographique de grand studio hollywoodien.
Le Labyrinthe de Pan (Guillermo Del Toro, 2006)
Avec le Labyrinthe de Pan, Guillermo Del Toro nous offre un univers complet, cohérent et réfléchi, d'autant plus étonnant qu'il est aussi riche en thématiques de réflexions, sur l'Histoire notamment, à travers le paradoxe de la Guerre Civile espagnole, le tout mâtinée de fantastique sur une égalité d'excellence à couper le souffle, autant dans les rêveries d'Ofelia qui s'échappe dans un monde de conte de fée pour ne plus assister aux horreurs de la guerre, qu'aux scènes atroces de combat, de trahison et de guérilla dans l'arrière pays espagnol. Sergi Lopez incarne un capitaine franquiste extraordinaire de sadisme et de méchanceté tout en retenue, mille fois plus horrible que les monstres qu'Ofelia croise dans les entrailles du Labyrinthe du Faune. L'habileté à séparer puis à rejoindre la réalité et le monde fantastique font du labyrinthe une fable à la sensibilité trop rare de nos jours, mais tellement réjouissante car complètement en phase avec le genre horrifique.
Sans oublier Shaun of the Dead, The Hurt Locker, La Route, The Devil's Reject, L'Armée des Morts, 28 jours plus tard, Hellboy 2, Kingdom of Heaven, Man on Fire, et plein d'autres pépites ...